Madame la cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité,
Mesdames et messieurs,
Chers tous,
Il est des domaines dans lesquels nous ne pouvons plus attendre que les choses changent « d’elles-mêmes ». Parce qu’elles ne changeront pas. L’égalité femmes-hommes a fait plus de progrès en soixante-dix ans, sans doute, qu’en plusieurs millénaires. Mais la plus grande erreur serait de croire que nous avons accompli l’essentiel du chemin. Non. Nous en avons fait la moitié. Nous avons fait celui de l’égalité en droit. Nous devons accomplir celui de l’égalité en actes. C’est l’un des grands défis de ce XXIème siècle, pour les sociétés du monde entier. La France ne fait pas exception. Ce défi est encore devant nous. L’actualité récente nous l’a bien rappelé.
Elle nous a rappelé les stéréotypes et les discriminations dont les femmes continuent de faire l’objet. Elle nous a rappelé aussi les non-dits, l’omerta, les mentalités souterraines.
Nous pensions que seule la révolution des comportements restait à faire. Nous découvrons que même la révolution des consciences n’est pas achevée. Et nous n’avons pas besoin d’aller jusqu’aux cas les plus extrêmes révélés par l’actualité, pour nous en convaincre. Il suffit de regarder les statistiques : elles ne sont pas le fait d’une personnalité ou de circonstances particulières, elles traduisent les anomalies du quotidien, les petites injustices qui une fois cumulées aboutissent à une inégalité majeure de fait. Pour tous ceux qui doutent encore des témoignages, il y a les chiffres.
Il y a les données objectives. Je ne veux pas vous assommer, mais je crois qu’il est important de les faire résonner, une fois par an au moins. Nous allons faire le point sur ce qui a été accompli depuis la dernière réunion de ce Comité et l’adoption de la feuille de route pour 2017. Je voudrais toutefois redonner quelques chiffres, qui rappellent la réalité de notre vie culturelle.
- Qui rappellent qu’à peine plus d’un tiers des établissements publics de ce ministère sont dirigés par une femme.
- Que moins d’un artiste sur quatre exposé dans un Fonds régional d’art contemporain, structure financée à parité Etat-région, est une femme.
- Que moins d’un long métrage sur quatre agréé en France est réalisé par une femme.
- Que moins d’un tiers des œuvres programmées dans nos théâtres publics sont signées par des femmes ;
- Que seulement 2% des œuvres jouées dans nos labels sont les œuvres de compositrices : 2%…
- Que moins d’un tiers de nos 351 labels de la création sont dirigés par des femmes. Et que la plupart dirigent les labels aux plus faibles budgets.
- On ne compte que 3 femmes directrices sur 19 Centres chorégraphiques nationaux ;
- On compte 10 femmes directrices sur 85 Scènes de musiques actuelles ;
- On compte 8 femmes directrices sur 36 Centres dramatiques nationaux ;
- On ne compte aucune femme à la tête de l’un des 7 Centres nationaux de création musicale.
- On ne compte aucune femme cheffe d’orchestre à la tête d’un orchestre labellisé par l’Etat alors que nos voisins européens accueillent nos cheffes françaises.
Aucun secteur ne fait exception. Prenons un exemple tout récent. Le weekend dernier, la Folle Journée de Nantes. Une manifestation que j’ai beaucoup fréquentée.
- Sur les 75 concerts d’orchestre du festival, seuls 8 étaient dirigés par des femmes, dont 7 dans des salles inférieures à 300 places.
- Parmi les 91 solistes instrumentistes figurant dans les programmes, seuls 21 étaient des femmes : c’est-à-dire moins d’un sur quatre.
Et tout ceci se répercute dans les Prix :
- Depuis 2000, sur 98 sélectionnées pour le Molière du metteur en scène : seulement 12 femmes, dont 3 primées ;
- Pour le César de la meilleure réalisation : 13 femmes sur un total de 103 sélectionnés, et zéro primée ;
- Pour la Palme d’Or à Cannes : une seule femme Palme d’Or en 70 ans de festival (1993, Jane Campion).
Les chiffres parlent. Ils nous rappellent combien l’accès aux scènes, aux métiers, aux opportunités reste inégal. Les chiffres nous rappellent aussi combien les rémunérations restent inégales. Les femmes gagnent en moyenne 10% de moins que les hommes au sein de ce ministère, et près de 20% moins dans les entreprises culturelles.
Face à ces chiffres, face à cette réalité, il y a trois attitudes possibles. La première consiste à penser que les choses sont ainsi parce qu’elles ont vocation à être ainsi. Ça s’appelle le fatalisme. Il y aurait des métiers pour lesquels les femmes sont moins douées, non prédestinées, dont certaines professions artistiques. C’est un discours que l’on entend encore, en France, en 2017. Une seconde attitude consiste à considérer qu’il faudra sans doute du temps, encore mais que les talents parleront, et que la situation s’équilibrera. Cela s’appelle la passivité. Une troisième attitude consiste à penser qu’on ne peut plus attendre. Qu’il faut parfois des règles pour accélérer la révolution des consciences, qui entraînera à son tour une révolution des comportements. Cela s’appelle le volontarisme. C’est la voie que je veux emprunter. J’assume le recours aux quotas de progression, aux objectifs chiffrés. Et je considère que le secteur culturel doit montrer la voie. Nous avons un devoir d’exemplarité en matière d’égalité femmes-hommes. Le secteur culturel a un devoir d’avant-garde, dans ce combat comme dans tous les grands combats sociétaux. Il doit donner l’exemple.
Ce ministère le fera : à son niveau, à travers ses établissements et toutes les structures qu’il soutient. Il ne s’agit pas d’être dans une posture de moralisation, ou de dénonciation. Il s’agit d’être dans l’action. Nous montrerons que c’est possible, et nécessaire. Car fermer la porte – ou l’entrouvrir à peine – pour la moitié de l’humanité, c’est se priver de la moitié des talents. Et « à nous regarder faire », non seulement « ils s’habitueront », mais ils nous emboiteront le pas.
Ce devoir d’exemplarité, le ministère de la Culture a commencé à le porter. Nous avons reçu en octobre dernier le label « Egalité Professionnelle » de l’AFNOR, qui reconnaît l’exemplarité de la démarche en faveur de l’égalité conduite au sein de notre administration centrale, de nos directions régionales et de nos services à compétence nationale. Nous sommes le premier ministère à avoir reçu ce label. Une vingtaine de nos opérateurs sont d’ores et déjà engagés dans la même démarche, avec notre soutien. Nous sommes en train d’élargir la démarche à tous nos opérateurs. Notre Secrétaire général, Hervé BARBARET, vous en dira un mot dans un instant.
Je veux aller plus loin. C’est l’objet de la feuille de route 2018-2022 qui vous a été adressée, et dont nous allons débattre aujourd’hui. J’ai tenu à associer à nos travaux le Haut Conseil à l’Egalité. Madame Bousquet me remettra officiellement son rapport sur les inégalités dans les arts et la culture dans 10 jours. Son éclairage nous sera précieux.
Pour introduire ce Comité, je voudrais vous présenter une série de propositions. Je suis déterminée à avancer de façon très volontariste sur ces questions. Pour obtenir des résultats tangibles d’ici la fin du quinquennat. Pour que les citoyens se disent : oui, les choses ont changé. Pour que ce Comité n’ait plus de raison d’être, au fond. Pour que l’égalité ne reste pas une ligne d’horizon, mais soit une réalité pour ce ministère en 2022.
C’est possible, c’est à notre portée. Je vais prendre pour cela des engagements inédits.
La première urgence, c’est la rémunération. Parce qu’elle est un marqueur de reconnaissance. Payer moins, c’est considérer que le travail, l’engagement a moins de valeur. L’écart actuel de 10% au sein de ce ministère est inacceptable. J’ai donc engagé un processus très volontariste pour résorber ces inégalités. J’ai dégagé une large enveloppe : 500.000€ sur 2018-2022. Le ministère va consacrer un demi-million d’euros au rattrapage des écarts de salaire entre les femmes et les hommes en interne.
La deuxième urgence, c’est la levée des freins à l’emploi. Les femmes restent nombreuses, dans les couples, à assurer la prise en charge des enfants : nous le savons. Nous devons tout faire pour que ça ne soit pas un obstacle à leur carrière. Dès ce lundi, le mécanisme pour que les salariés intermittents du spectacle puissent faire financer la garde de leurs enfants par le FONPEPS, le Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle a été mis en place.
Autre priorité : la formation. Car c’est au moment où se décident les vocations et les carrières que beaucoup de choses se jouent. Les écoles du ministère ont un rôle majeur à tenir : contre les discriminations, contre l’autocensure, et contre le harcèlement. Je souhaite d’abord instaurer la parité au sein des jurys de sélection et de sortie de nos 99 écoles. Il n’existe aucune règle aujourd’hui. Je vais en instituer une, et je souhaite voir une alternance femme-homme à la présidence de ces jurys. Je souhaite aussi que nos établissements s’engagent dans la lutte contre le harcèlement, qui est une priorité absolue ; Et pour inciter les étudiantes à envisager toutes les professions, tous les types de carrières. J’ai demandé à tous les établissements d’enseignement supérieur du ministère d’élaborer des Chartes éthiques en ce sens. Les démarches sont engagées.
Je souhaite ensuite que le ministère de la Culture fasse figure de modèle en matière de nominations. Nous sommes loin de la parité dans nos propres établissements publics.
Sur nos 75 établissements, seuls 26 sont dirigés par des femmes. Je souhaite que la parité devienne la règle, et que d’ici 2022, elle soit acquise : que la moitié des postes de direction exécutive des établissements publics du ministère soient occupés par des femmes. Tous les mandats vont arriver à échéance dans les cinq ans à venir. Il y aura notamment 27 renouvellements cette année, 21 l’année prochaine, 18 celle d’après. Je souhaite que la moitié de ces renouvellements donnent lieu à la nomination d’une femme.
S’agissant des labels du spectacle vivant et des arts plastiques, je souhaite que la parité progresse à la fois au niveau des nominations et des programmations. L’égalité doit concerner l’accès aux postes à responsabilité mais également les moyens de production, la place faite dans les programmes, la rémunération.Nous en sommes loin. J’ai rappelé quelques chiffres.
Des objectifs ont été fixés par une circulaire prise le 8 mars dernier. Un bilan des actions et des progrès réalisés me sera rendu en juin prochain. En matière de nomination, le rééquilibrage doit pouvoir se dessiner dès cette année, puisque 35 mandats arrivent à échéance. Vous savez que les nominations à la tête des labels ne dépendent pas seulement de nous : elles sont le fruit de co-décision avec les collectivités territoriales. Mais je veillerai à ce que l’Etat porte la voix de la parité. Ce sujet sera d’ailleurs porté dans le cadre d’un groupe de travail du Conseil des Collectivités territoriales pour le développement culturel.
Sur la base du premier bilan qui me sera rendu en juin, je me réserve le droit de fixer des objectifs chiffrés, contraignants, et d’en tirer les conséquences en cas de non-respect.
En matière de nomination :
- Je suis prête à envisager un objectif de progression de +10% par an de femmes pour les catégories de labels dans lesquels elles représentent moins de 25% des dirigeants aujourd’hui ;
- Et un +5% par an pour les catégories de labels dans lesquels elles représentent entre 25 et 40% des dirigeants.
J’envisage aussi des objectifs en matière de programmation sur les mêmes bases chiffrées.
Un suivi serait instauré, avec des conséquences directes sur les subventions : un système de « malus » pourrait être envisagé pour les labels qui ne respecteraient pas leurs obligations.
La programmation est un enjeu majeur, à double titre : non seulement pour offrir une juste reconnaissance aux artistes actuelles ; mais aussi pour préparer l’avenir, en suscitant des vocations chez les jeunes filles qui iront au spectacle ou au musée et se diront « Demain, ce sera moi ».
Je serai également très vigilante aux représentations des femmes faites dans les médias. Pour changer les comportements, il faut changer les regards, et donc les images. Le secteur des médias s’est saisi de ces questions et je m’en réjouis : Je pense à l’audiovisuel public, qui se mobilise :
- Véronique CAYLA comme Marie-Christine SARAGOSSE pourront en témoigner, pour Arte et pour France Médias Monde ;
- Je pourrais citer aussi France Télévisions, qui s’est engagé à faire progresser la part de femmes sur les plateaux d’experts, pour parvenir à la parité en 2020.
- Je pense à l’action du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, que Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE pourra évoquer ;
- Je pense à l’Agence France Presse, qui a conduit une étude récente et mis en évidence des pistes d’action particulièrement pertinentes pour la presse.
Je pourrais aussi saluer la mobilisation du journalisme ou de l’édition :
- Les écoles de journalisme viennent de consacrer deux jours de leur conférence nationale annuelle aux thèmes de l’égalité professionnelle ;
- Le syndicat national de l’Edition (SNE) souhaite engager avec le soutien du ministère une réflexion sur les stéréotypes présents dans la littérature jeunesse.
Mesdames et messieurs,
Chers tous,
Nous avançons dans le bon sens, incontestablement. Mais nous avançons trop lentement.
C’est ma conviction. Je suis donc déterminée à agir, par tous les moyens qui sont à ma disposition, vous l’avez compris. Le chemin que nous allons accomplir, au sein du ministère, des établissements publics et des labels, j’invite l’ensemble des acteurs culturels à l’accomplir. J’invite toutes les structures, les acteurs et les secteurs que vous représentez à prendre des engagements similaires.
C’est la responsabilité de notre génération. La responsabilité de tous les décideurs, employeurs, programmateurs que nous représentons : à nous de changer les choses au présent, à nous de donner une chance à l’avenir.
Je vais maintenant céder la parole à Hervé BARBARET et aux directeurs généraux, qui vous feront un point sur les démarches de notre ministère et les points saillants de la feuille de route.
Vous serez invités à vous exprimer sur chacun de ces points.